jeudi 5 mars 2009

TEXTES de PRESENTATION

M-C SCHRIJEN "La porte d'ailleurs", 2003. Photographie argentique montée sur Dibond, 40 x 60 cm. 



  Une topographie fantastique (série "Paysages) 


   A l’heure actuelle, une partie de l’exploration photographique semble en passe de revenir sur des sujets traités dès les débuts aventureux de cette pratique, le paysage entre autres. Le travail de Marie-Christine Schrijen s’inscrit dans cette problématique mais en se référant à une certaine histoire du paysage, qui selon le dictionnaire est la « partie d'un pays que la nature présente à l'œil qui le regarde ». L’utilisation du film infrarouge lui permet d’enregistrer une gamme de gris différente de celle que l’œil enregistre habituellement tandis que l’ajout d’un filtre rouge privilégie ces mêmes radiations. L’apparition d’éléments que l’on ne percevait pas auparavant crée un effet visuel fort avec la constitution d’un nouvel agencement photographique où l’effet de contraste obtenu, très puissant, accentue le glissement vers un effet de non réalité. Finalement une vision décalée où apparaissent de façon tragique, magique ou fantasmatique les éléments même de la nature comme les éléments végétaux, minéraux, le rendu atmosphérique, ciel, nuages, etc. Dans l’évolution picturale qui conduit de l’Antiquité à l’ère moderne se crée une vision arrangée de cette notion, allant d’un simple décor à une vision symbolique, romantique puis impressionniste de la nature. Ainsi à l'époque Romantique avec Caspar David Friedrich (1810-1811), le paysage produit des émotions et des expériences subjectives. Avec l’Impressionnisme et l’Ecole de Barbizon, l’objectif devient de créer une représentation fidèle à la perception vécue par l’artiste. Le poids de la peinture anglaise du paysage comme celle de John Constable (1776-1837) va glisser dans l’espace photographique historique des années 1850 au travers des réalisations de George Shaw (1818-1904) par le biais des calotypes. Ainsi ces précurseurs comme Talbot vont privilégier l’inutile absolu donc l’art au dépend de l’utilitaire tout en créant les bases de la future autonomie photographique. Pour en revenir à l’approche personnelle de Marie-Christine Schrijen, ses travaux envisagent le paysage comme une entité où l’élément humain existe à l’intérieur même du champ saisi. En effet le modelé même des arbres, prairies, plantations, sculptures, rochers ou ruines … ne constitue-t-il pas la meilleure trace de l’activité humaine plutôt que son explicite vision au travers de modérateurs d’échelle perçus par elle comme perturbateurs ? Dans ce travail exploratoire, la problématique de la matière se trouve posée puisqu’il semble exister une interpénétration entre monde végétal et minéral. Ressemblance ou différence ? Se pose ainsi le problème de l’impossibilité de l’identification car les différents états de la matière appartiennent à une zone mouvante où la pierre donne quasiment l’impression d’être vivante. Au niveau du tirage, les photographies se trouvent revisitées afin d’obtenir cet effet spécifique qui conduit à une perception parfois inversée, toujours décalée du paysage. Ceci crée alors une relation de type fantastique qui s’empare du spectateur puisque ce dernier pénètre en un lieu où les références normatives, pour peu qu’elles existent, s’estompent au profit de cette vision subjective de l’artiste. Le modelé d’un menhir, pour prendre un exemple dans cette série, acquiert une densité qui donne l’impression qu’il émerge d’herbes évanescentes et comme opalines. La force d’une eau devenue presque noire confrontée à une masse rocheuse donne dans une autre photographie un sentiment de rencontre en deux dimensions. Il apparaît donc obligatoirement une forme de relecture poétique où le contour général des objets crée un fort effet onirique. Une autre référence faite par la photographe aux pellicules orthochromatiques, peu sensibles aux couleurs de plus faible énergie physique explique les cieux blancs toujours présents sur les anciennes photos. Cette caractéristique inscrit les recherches de Marie-Christine Schrijen dans un passé proche où le réel proclamé se positionne dans une nébuleuse perceptive et ouverte à l’imaginaire. 
                                                                                                                                  Christian SKIMAO






M-C SCHRIJEN "L’ange de la fontaine", 2008. Photographie argentique 30 x 40 cm montée en caisson 50 x 60 cm. 
 

Fantômes de pierre (série "Têtes rongées") 

 Dans le cadre d’une photographie argentique, en noir et blanc, Marie Christine Schrijen présente une série de photographies dont la thématique générale tourne autour de la notion de « têtes rongées ». Il s’agit pour elle de travailler sur des sculptures d’ornementation en pierre, souvent anonymes, difficilement attribuables ou même reconnaissables, qui acquièrent paradoxalement un caractère dramatique et personnalisé grâce à leur lent processus de dégradation. La volontaire suppression des éléments anecdotiques ou utilitaires ainsi qu’un changement d’échelle altère la perception que nous en avons, et les conduisent ainsi à changer de statut. Elles glissent ostensiblement d’une photographie archéologique à une photographie contemporaine grâce à une interprétation personnelle obtenue grâce à des angles de vue non orthodoxes comme des contre-plongées. Le thème du fantastique se retrouve également dans ces faces de pierre qui interrogent le passage du temps. Le tirage, longue opération manuelle, accentue certains traits et en fait disparaître d’autres. Il aplatit certains reliefs ou les accuse en une série d’opérations toutes orientées vers la révélation d’un caractère soit comique, soit tragique, en tout cas questionnant. Ce point de vue du photographe puise dans un fonds accumulé au cours des années et qui s’affine grâce à une recherche constante. Jean-Paul Martin, découvrant cette nouvelle série, avait évoqué le travail de gravure (de cartalégraphie pour être exact) de Picasso dans le livre d’artiste Les Transparents de René Char, publié par Pierre André Benoit en 1967. Une similitude semble se dessiner là entre des techniques différentes mais toujours dans cette volonté de s’inscrire pour elle dans une interpicturalité. On pourrait aussi évoquer le travail pictural d’Antonio Saura qui s’immisce aussi dans le champ référentiel de ses réalisations. Michel Butor, avec qui elle avait réalisé en 2007 L’œil en dérive, dans un passage de L’Emploi du temps (1956) parle de cette thématique des sculptures, du temps qui passe et de l’impression générale que cela suscite pour le regardeur : « Le temps, l'usure, avaient passé sur cette pierre, l'avaient rongée, changée, mais bien autrement qu'ils n'auraient changé et rongé la chair de vingt ans qu'elle m'évoquait, dont j’imaginais les traits peu à peu se durcissant, où j’imaginais peu à peu les rides apparaissant, altérant peu à peu l'expression,la modulant de tonalité en tonalité de plus en plus grave, et soudain, ce regard assez enfoncé, à la fois aimable et secret, ce large front aux tempes doucement marquées, ce nez mince et bien droit aux ailes creusées, ces lèvres fines un peu dissymétriques, ces mains allongées même, capables de si bien s'ouvrir et de se resserrer comme une pince de précision, sur lesquels en quelques instants je faisais passer saisons et saisons,... » La littérature demeure pour Marie Christine Schrijen, l’autre pôle des réalisations au travers d’une production de livres d’artiste avec un poète ou un écrivain. L’établissement de ces correspondances enrichit le propos commun de chaque créateur et permet de continuer son chemin exploratoire au-delà des évidences trop connotées du genre photographique. 
                                                                                                                               Christian SKIMAO 


  Entretien de Christian Skimao avec Marie-Christine Schrijen à propos de la série "Têtes rongées" à l'occasion de son expostion à la MJC d'Onet-le-Château dans le cadre de PHOTOfolies 2011 à Rodez: La tête dans les têtes Christian Skimao: Comment démarre le processus de réalisation de la série "Têtes rongées" ? Marie-Christine Schrijen: Par la prise de vue, au hasard de ballades ou de voyages, de sculptures ornementales qui m’intéressent non à cause de leur beauté mais pour leur érosion qui me paraît accentuer et transformer leurs traits d’origine, rendant plus forte et plus émouvante leur expression. CS: Quelle est la provenance géographiques des têtes retenues ? Est-il important de pouvoir les localiser ? M-CS: Non, leur lieu d’origine est très varié et pour moi n’a aucune importance, je ne fais pas œuvre d’archéologue et ces sculptures n’ont aucune valeur patrimoniale, d’autant plus qu’après le traitement que je leur fais subir elles sont peu reconnaissables. CS: Il s'agit de photographies argentiques. Comment se trouvent-elles élaborées ? M-CS: La prise de vue s’effectue de manière classique. Les originaux sont de taille très diverse, du monumental à la petite décoration de porte, de la gargouille aux ornements de corniche. Le plus important, c’est le traitement, tirage, recadrage parfois très important qui accentue le grain et donne parfois une apparence fantomatique. Tous les éléments anecdotiques (chevelure, chapeaux) sont éliminés pour ne conserver que le visage, et tout est ramené à la même échelle. CS: Le dispositif de présentation (la boîte américaine) semble essentiel. Pourquoi une telle mise en scène ? M-CS: Je voulais que ces visages semblent venir de très loin, comme des apparitions à la fois présentes et venues du passé. De plus l’épaisseur de la boîte à la fois brouille et concentre le regard, du moins c’est le but recherché. CS: Ces "Têtes" possèdent une vie propre par rapport à l'original. D'où provient alors leur caractère fantastique ? M-CS: Je pense que c’est le mélange de réalisme (les sculptures restent reconnaissables) et d’accentuation des traits par les diverses transformations que les originaux subissent au labo qui leur donne ce caractère. CS: Le temps demeure un acteur essentiel dans le cadre de la sculpture et de sa transformation. Comment se retrouve-t-il dans les photographies ? M-CS: Le degré d’érosion est le premier critère dans mes choix de départ. Je suis fascinée depuis longtemps par les transformations dues au passage des saisons, des intempéries, de l’usure en général. Tous ces éléments transforment un charmant angelot en visage effrayant ou une élégante en fantôme. Je trouve passionnant de montrer ce processus qui donne à une œuvre purement décorative une autre vie, tragique ou comique parfois, mais vivante et non figée comme l’original. CS: Le caractère énigmatique se trouve lié à la perception qu'en a le spectateur. Peut-on évoquer une nouvelle vie de ces présences fantomatiques ? M-CS: Pour moi bien sûr c’est ce que j’essaie de réaliser, c’est au regardeur de dire si j’ai réussi ou non. Comme dans toute œuvre, chacun y trouvera des émotions bien différentes, l’essentiel pour moi, c’est que quelques uns en éprouvent.

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